Francis Thievicz

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Maelstrom

 » Je crois que vous ne comprenez pas : aucun tourbillon recensé n’a jamais causé de désastres comme ceux que vous décrivez. Ce sont des mythes, au mieux prennent-ils corps dans l’esprit des auteurs de fictions.
– Ah, vous m’en apprenez une belle ! Eh bien, moi, je crois que c’est vous qui ne comprenez rien : j’ai en effet parlé d’un maelstrom, d’un tourbillon dévastateur, mais vous semblez ne penser qu’à ceux qui se situent en mer.
– Allez-vous me parler de tornades ? Vous seriez bien à…
– Mais taisez-vous ! Taisez-vous, silence et utilisez votre cervelle pour penser, pour remettre en cause, plutôt que justifier de toutes vos certitudes erronées de militant de la doxa. J’évoque un tourbillon de terre, ou plutôt de sables-mouvants et de boues.
– Là encore, je vous assure, les sables-mouvants ne sont que…
– Fort bien, en ce cas, puisque la raison et les arguments ne peuvent vous convaincre, allons nous fier à notre piètre sens de la vue. Passons cette crête…
– Par tous les dieux ! Mais comment…
– Comment pouvez-vous être aussi hermétique à tout ce qui sort de la prétention humaine matérialisée par la science officielle pourtant toujours revue, amandée, remaniée, broyée par ces petits pas de notre affligeante espèce que sont les avancées dans la compréhension du monde ?
– Non, je voulais dire comment est-il possible que nous n’ayons jamais eu connaissance de ce phénomène pourtant si géographiquement proche. Comment est-il possible que… »
J’en eu assez et aidai mon collègue à chavirer dans la pente qui le fit rouler jusqu’au maelstrom. Que l’on ne me croie pas sur parole, que l’on soit légèrement stupide, passe encore, mais que l’on soit à ce point dépourvu d’humour, voilà qui est intolérable. Ainsi, peut-être cet attardé mental servira-t-il à quelque chose ; s’il ressort quelque part encore vivant nous contera-t-il son voyage dans le maelstrom, sinon cela ne sera pas une bien grande perte pour une humanité qui a si grand besoin d’un peu d’eugénisme afin de perdre en sérieux et en rigidité.

equilibrium

Huvanité – Le club de l’Homme

Au nombre des clubs salutaires pour la santé mentale je tiens à citer Huvanité – le Club de l’Homme. Fondé par l’aliéniste Karl Klaus Kstigel, il a pour dessein, depuis ses origines, d’éviter la maison de santé aux philosophes trop sensibles et aux mystiques livrés aux griffes de l’agnosticisme par la faute de religions trop tendres en réponses définitives.

Il a en effet été constaté que nombre de déments ne l’étaient ni pour des raisons d’hygiène ni pour des causes environnementales, mais surtout par incapacité à affronter l’absence de solutions aux questions métaphysiques, à pouvoir encore respirer dans ce vide tendu d’illusions, à avoir mal estimé la dose de vérité qu’ils pouvaient endurer. C’est dans les lacunes fondamentales de la vie, ces cavités livrées à l’absurdité de l’existence, que se propagent les parasites du désespoir dont nous connaissons tous les fruits noirs et amers.

Voilà pourquoi il a donc été conclu que rien ne serait plus salutaire, pour se détourner des questions éthérées, que de se livrer à l’énervement, à l’agacement le plus grossier, à la rage la plus prosaïque : et à cela quelle source plus évidente que l’humain ? Ses sociétés ineptes, ses manières condescendantes, sa vacuité, son avidité, sa prétention, ses sentiments et émotions, ses systèmes de valeur… Tout en lui est fait pour permettre de distraire son besoin de vengeance métaphysique. L’humain méditerranéen a même eu la bonne idée de se faire à l’image d’un dieu trop absent, l’idée a su se propager pour le plus grand bonheur de tous les philosophes perclus de scepticisme, de cynisme et d’idées trop extrêmes pour encore trouver la frénésie que permettent les luttes, la violence et les guerres. Mais le règne du dieu unique aux multiples noms n’a pas tout réglé.

Le club de l’Homme permet donc à ses membres de se trouver un emploi dans lequel ils bénéficieront de la joie de s’abrutir à des tâches stupides avec des collègues nécessairement perclus d’humanisme, de s’employer à avoir des loisirs grégaires où des macaques passeront leur temps à parler de leurs semblables, où le mot « discuter » ne signifiera plus argumenter/contre-argumenter mais seulement baver des syllabes, de participer activement au brassage de miasmes de la société, de se trouver des passions faussement dépourvues de desseins misanthropiques telles que l’astronomie ou la randonnée, afin de pouvoir pester contre les becs-de-gaz, le pastoralisme et le tourisme de masse (les idées de loisir ne manquent pas, l’humain parasite tout).

Au Club de l’Homme il y a des nerveux, des gens qui se mutilent, certains sont en prison à force d’actes de violences, d’autres sont morts en duel, nombreux sont devenus alcooliques, mais aucun n’a fini en maison de repos. Aucun n’est fou ! Quiconque s’occupe de l’humain s’évite de s’élever trop haut et perdre pied avec les plus gluantes crasses des réalités prosaïques. Soyez toujours agressé, vous finirez par vous conformer, même par votre incessante lutte vous serez ainsi au niveau de votre agresseur.

Que la vanité et le prosaïsme aient longue vie, que la folie sommeille éternellement.

huvanitel

Confession d’une victime de l’ennui

Je ne vous ferai pas l’affront de décrire le fiacre de nuit dans lequel se déroulèrent les évènements, vous le connaissez. Quand j’y entrai j’avais certes bu de l’absinthe, lapé quelques gouttes de laudanum ; mais combien sommes-nous à ainsi modérément sustenter notre esprit sans conséquences néfastes ? De plus j’avais été tout à fait humble dans ma consommation et le froid nocturne m’avait parfaitement remis les idées comme il se doit.

Toujours est-il que la voiture était déjà occupée par une jeune femme bien sous tous rapports, gantée de dentelles, parfumée, des soieries jusqu’au menton, les cheveux coiffés et chapeautés… Un simple bonsoir fut échangé et la voiture était déjà en branle avant qu’un silence de convenance ne nous relègue chacun à nos solitudes.

Nous avons roulé cinq bonnes minutes avant que la demoiselle ne sorte un couteau à double lame en l’agitant tout en dévoilant de belles dents blanches dans un sourire tout ce qu’il peut y avoir de sain. Je crus qu’elle désirait simplement se couper un quartier de pomme ou quelque chose dans ce goût-là, mais elle me fixa en disant quelque chose comme :  » L’ennui, voilà le grand péril d’une existence sûre et orchestrée. L’ennui, inévitable conséquence de l’œuvre et du désœuvrement, allié des métaphysiques, complice du crime, lueur des lucides. Vous, monsieur, n’avez pas l’air de le connaître, ce Lucifer des larmes sèches, ce révélateur des néants ; voilà probablement – puisque vous semblez bienveillant – voilà probablement pourquoi vous ne me venez pas en aide cependant que je suis assaillie par les vers, déjà morte que je suis, par les araignées, par les mouches, par les larves et les cafards, rongée par des vitriols en capsules qui se crèvent dans mes cheveux et dissolvent mes chairs, la peau turgescente sous l’effet des frelons bourdonnant partout autour de moi, un scarabée d’argile poudreux sur le sein. »

Et, ainsi divaguant, elle se taillada les jambes, se scalpa presque le front, s’écorcha partout où elle pouvait.

Après un instant de stupéfaction, je tentai de l’empêcher, mais elle m’attaqua. Alors je pris peur, partagé entre mon besoin de fuir et mon envie de lui interdire de se blesser. J’ouvris la porte et hélai le cocher qui fit s’arrêter l’attelage et descendit pour nous rejoindre. Je n’eus pas l’occasion de lui expliquer qu’il me fouettait déjà le visage en me traitant de criminel (et d’autres qualificatifs non moins calomnieux et mensongers). Derrière lui, le sourire de la folle (un sourire d’une absolue sincérité, le sourire d’une parfait innocence) continuait de m’être adressé, comme pour me remercier, non pas de l’avoir sauvée du suicide qui aurait pu s’accomplir, mais de l’avoir distraite de son ennui.

Le lendemain je lus l’article dans le journal, on accusait un anonyme d’avoir mutilé une innocente jeune femme – devenue muette et folle suite au violent assaut – sauvée par le cocher qui, lui, avait péri, une lame enfoncée dans le cœur. Pourtant je suis innocent ! Innocent.

Vous trouverez mon corps pendu sous le platane à l’Est du pont. Montrez-le à cette demoiselle, elle sourira, non de voir son agresseur mort mais d’avoir trompé l’ennui. Ce sera la preuve !

bear girl

Bovineries spirites

« Avez-vous entendu parler de la dernière affaire que j’ai résolue ?

– Oui, tout à fait.

– Vraiment ?

– Eh bien, en vérité non, je n’en ai pas entendu parler, mais j’espérais m’éviter la peine d’avoir à vous écouter.

– Fort bien ! C’est une affaire surprenante à plus d’un titre : j’ai prouvé l’existence de l’âme des animaux, car elle n’est pas le propre de l’Homme.

– Mais l’humain est un animal. C’est une vision biaisée que de croire que…

– Qu’importe ! Ensuite j’ai prouvé que le cubisme existe depuis que les fauteuils sont en cuir. Et pour finir j’ai simplement résolu l’affaire avec la puissance de mon esprit de déduction et de logique, sans même avoir à démonter l’objet maudit.

– Une affaire concernant Miss Vives ?

– En effet, mais comment…

– Son fauteuil, possédé, qui est parfois pris de sortes de quintes de toux, qui meugle et qui tressaute ?

– Diable. En effet ! Mais comment…

– Vous lui avez expliqué que les fauteuils de cuir sont des visions d’artistes, que les tapissiers sont des taxidermistes qui ont une vision bien abstraite des bœufs dont est tiré le cuir. Que le bœuf utilisé pour son fauteuil devait être décédé dans des conditions effroyables, comme bien souvent lors des cas de possession.

– Miss Vives vous a tout raconté !

– Du tout : elle a simplement racheté mon vieux fauteuil dans lequel j’avais placé un moteur de massage fort capricieux.

– Mais alors…

– Mais alors rien… Un fauteuil, même avec un moteur, peut tout à fait être possédé… »

Prévisions pour astronomes du XXI° siècle

Imaginez une prévision d’observation pour un astronome du XXI° siècle :

Juin : Ciel grisâtre toute la nuit. Début de soirée firmament violacé, horizon pâle. Minuit, horizon pâle. Possibilité de voir Jupiter, Mars, la Lune.

Juillet : Ciel gris toute la nuit. Début de soirée voûte célèeste violacée, horizon pâle. Minuit, horizon pâle. Possibilité de voir Jupiter, Mars, la Lune.

Aout : Ciel gris toute la nuit. Début de soirée, nues violacées, horizon pâle. Minuit, horizon pâle. Possibilité de voir Jupiter, Mars, la Lune, en cas de coupure de courant dans la moitié des secteurs possibilité de déceler d’autres astres.

 

… Non, l’espèce humaine n’aura jamais l’audace de créer assez de pollution lumineuse pour occulter les astres, nous n’en arriverons pas à placer des cartes peintes devant nos objectifs pour nous figurer voir scintiller des astres. Jamais… L’humanité est trop encline à la rêverie, à l’évasion, et aux choses honorables pour laisser faire ça ; affliger les astres par des représentations anthropomorphiques telles que les constellations fut son ultime affront. N’est-ce pas… La nuit sans nuages où il sera possible de compter les étoiles, l’espèce aura la décence de mettre un terme à son existence, assurément.

 

Ciel nocturne en 2016 (selon certains alarmistes)

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Kovac visage de lambeaux

Kovac n’a pas toujours été ce monstre au visage en lambeaux que l’on ne croise que la nuit, bien que son état soit le résultat du romantisme qui a toujours été celui qui ouvrageait les limbes de son âme.
Nous sommes devenus amis tandis que nous tentions tous deux d’être peintres. Nous échangions des lieux où poser nos chevalets, dissertions au sujet des couleurs ou de la puissance des symboles, des essences que doivent comporter toutes les œuvres d’art, et ce genre de propos idéalistes auxquels croient les jeunes. Ce fut lui qui nous incita à aller fureter par les cimetières pour trouver l’inspiration.
Au crépuscule on pouvait souvent apercevoir nos silhouettes saisissant quelques angles de ruines, des stèles dévorées par le lierre, des sols avachis sous le poids des ans et le vide des sépultures.
Ce ne fut que bien plus tard, tandis que les ans nous avaient à chacun fait prendre des routes différentes, que mes pas me menèrent en cette vieille nécropole plombée par les éclats de la Lune. Tout d’abord, à la vue d’un autre intrus dans la cité funéraire, je pris peur et allai fuir, mais je reconnus la physionomie de mon vieux camarade que j’osai saluer, malgré le caractère singulier de la situation.
Il m’expliqua que lui aussi avait abandonné l’art pictural, mais qu’il avait persévéré dans l’art, se consacrant désormais à la musique, raison pour laquelle il auscultait la terre à l’aide d’un stéthoscope de médecin. Après avoir tassé la terre d’une fraîche tombe, il plaçait le cercle auditif sur le sol et écoutait, parfois la nuit durant, le son de la dévoration cadavérique. Pour l’inspiration, disait-il.
Quelques mois plus tard je le retrouvai au même endroit, armé d’un long tube métallique creux qu’il plantait en terre. Il riait, hurlait et dansait pareil à un loup dément. Le tuyau profondément planté, il craqua une allumette et la plaça en haut du  tube, ce qui, avec les gaz de décomposition, fit luire une flamme mortuaire à laquelle il alluma négligemment sa pipe. Pour l’inspiration, disait-il.
Ainsi inventait-il toutes sortes de procédés ingénieux, explorant la mort avec une déconcertante originalité. Quelques fois je suis allé à ses concerts, ils étaient assez quelconques, et je suis sûr qu’il n’y incorporait aucun élément de ses frénésies nocturnes, que la musique n’était qu’un prétexte qu’il avait préparé en cas de flagrant délit.
Parfois il usait de son tuyau simplement pour creuser un passage jusqu’aux dépouilles, alors il y lançait un hameçon et remontait divers éléments qu’il inhumait ailleurs. Parfois c’étaient des linceuls qu’il pêchait et dont il faisait ses mouchoirs. Là encore, pour l’inspiration.
Son visage prit son aspect cependant qu’un gaz s’enflamma tandis qu’il se délectait du fumet funèbre au tuyau.
Voilà l’histoire simple de l’origine des lambeaux faciaux de Kovac.

Le duel le plus long de l’histoire

Chère et vénérée Honorine,

C’est avec affliction que je me vois obligé de renoncer au rendez-vous que vous m’avez adressé : cette semaine je dois remplir mes devoirs de témoin.
Avez-vous déjà entendu parler d’un duel à mort qui dure plus de deux ans ? J’en suis hélas en partie responsable, et me dois de faire preuve d’abnégation afin de me repentir et assumer les conséquences de ma malice.
L’histoire commença comme toutes les genèses de duel : par une quantité négligeable de raison et une déraisonnable tourmente d’amour-propre. Mon meilleur ami avait été blessé dans son honneur et rendez-vous fut pris pour un duel avec le calomniateur. Comme l’adversaire avait presque trente ans de plus je priai mon ami de se donner un handicape afin de faire preuve de fair-play, comme disent les anglais. Ce fut alors qu’une étincelle de perversité nous foudroya : Puisque le duel devait être équitable pourquoi ne pas se blesser la main afin de demander la pareille à l’adversaire. Ainsi fut entamé un long processus visant à élaborer les pires mutilations qui exigeraient de l’autre partie d’assez intolérables contreparties pour qu’il refuse le duel et présente ses excuses.
Pourtant, lorsque je me présentai chez les témoins adverses, je découvris non seulement qu’ils acceptaient mais qu’eux aussi avaient fomenté la même idée décadente.
Ainsi ce furent deux loques pathétiques, manchots, cul-de-jatte, borgnes, à moitié édentés et scalpés qui durent s’affronter – nulle partie ne voulant céder aux lamentables effrois de l’excuse publique.
Depuis donc deux ans ils se battent comme ils peuvent, incapables d’infliger la moindre plaie létale à l’autre. Il est décidé que les combats ne se déroulent que de 5 à 13 heures, chacun des deux témoins de chaque partie devant assumer son impotent lorsque celui-ci ne règle pas ses affaires d’honneur.
Puisque je crois qu’aucun ne mettra encore à mort l’autre, je serai donc libre de vous visiter la semaine prochaine.

Votre dévoué et bien aimé,

C.

Edson D. Bemis clap clap

swear

Harmonie corruption

Lorsque l’on vint me demander mon expertise à propos de l’orbe trouvé dans une niche cachée du temple perdu au milieu du désert au sud de Ninawa, je reconnus tout de suite les symboles gravés. Même si le calque était de mauvaise qualité, j’en avais suffisamment étudié les caractères pour déchiffrer en quelques instants la substance du message. Je savais, puisqu’il avait été mis à jour depuis quelques semaines déjà, que les pièces métalliques du lieu où il avait été entreposé avaient commencé à rouiller, qu’une moisissure inconnue avait maculé les verres, les boiseries et même la végétation. En revanche je n’avais pas prévu que les animaux étaient déjà gagnés par les maladies et que croissaient alentour les amas fongiques ni que les spores se répandaient à telle vitesse.
Bien évidemment il existait un espoir de vaincre la menace, non pas les navrantes tranchées creusées à la hâte, mais certaines formules, certains alliages de métaux sacrés combinés à des feux savamment placés.
Pourtant je prétendis ne rien comprendre au message gravé sur l’orbe. Les générations à venir qui auraient eu à gésir sur ce vulgaire amas de poussières gravitant autour du soleil, toutes ces pathétiques vies qui ne verront pas le jour sur cette maudite planète ne me remercieront pas, mais au moins ne me blâmeront-elles pas non plus d’avoir participé à leur affliction de ramper dans cette existence étriquée qui corrompt notre coin d’univers. Un acte bien vain lorsque l’on sait à quel point le reste du cosmos pullule de vie, mais chacun agit à son échelle…

ruines

Cette erreur minoritaire du cosmos qu’est la vie ne saura jamais s’éteindre assez tôt, la décence et l’honneur lui sont trop étrangers.

Une illustration de notre sombre époque sans honneur

Oui j’ai molesté une dépouille selon la société vierge de tout crime, oui j’ai lancé une malédiction sur son âme, oui j’ai tué une femme, mais de quoi suis-je donc coupable ? Je devrais recevoir une médaille !

Les règles de la galanterie exigent que l’on ne peut refuser de venir en aide à une lady, voilà pourquoi lorsque je vis cette femme me faire signe de la main je m’approchai, m’inclinai et lui offrit mon concours, et mon mouchoir afin qu’elle séchât les viles larmes souillant son délicat visage.

« Monsieur, votre canne, j’en ai besoin, et votre couteau, si vous en avez un.

– Mais bien entendu madame. Puis-je pourtant vous demander à quelles fins ? »

Elle m’expliqua brièvement la situation, et, après l’avoir écoutée, affligé, gangréné par la haine et l’infamie dont avait été victime cette pauvre lady, ce furent aussi mes muscles et mon esprit que je mis à sa disposition.

Peu à peu, évidemment, d’autres gentlemen vinrent nous prêter main forte, et bientôt nous fûmes une dizaine à molester le cadavre, puis sa pulpe, puis à brûler les viscosités qu’il restait de lui. Ensuite, sans attendre, tandis que le crépuscule avait avancé les troupes de la Nuit, j’organisai une séance durant laquelle nous convoquâmes l’âme du défunt et le maudîmes, le tourmentâmes, le torturâmes de toutes les manières dont il est possible de mettre au supplice un spectre.

Enfin, ceci fait, je tirai mon revolver et libérai une balle dans le cœur de cette femme apaisée, vengée et accomplie dans ses justes desseins. En effet, le malappris que nous avons corrigé n’était autre que celui avec lequel elle avait passé un pacte suicidaire des plus honorables et romantiques : eux qui ne se connaissaient de nulle part sinon d’un pont duquel ils avaient eu l’heureuse idée de se précipiter le même soir, ils devaient se tirer une balle dans la bouche de l’un à l’autre afin d’accomplir le dernier voyage accompagnés et ne pas souffrir d’une mort de sa propre main. Mais le couard avait hésité et n’avait osé appuyé sur la queue de détente, ou, plutôt, avait décidé de ne pas le faire, cet égoïste, jouir seul du trépas et laisser une homicide gésir dans les fanges de l’existence.

De nos jours, la morale n’existe pas plus que l’intégrité, nul ne sait presser la détente, plus personne ne sait rosser les dépouilles, damner les esprits. Quelles sombres époques vivons-nous !

romanticdeath

Idées périssables et déductions

Il plaçait ses idées dans des fioles, toutes ses idées, et parfois même celles des autres. Ainsi agissait-il de crainte d’un jour avoir le mauvais heur de perdre l’inspiration, ce qui, d’ailleurs, lui arriva.

Débouchant l’un des flacons il le huma et… et rien. Il tenta de le faire chauffer sur un bec-de-gaz avant de planter le goulot dans l’une de ses narines : rien non plus. Il tenta de produire de la condensation pour la boire, de créer un précipité, de concentrer l’essence qui devait y être contenue, sans aucun résultat heureux.
Toutes ses fioles, il en avait violé le sceau pour en éprouver les trésors, mais son esprit resta aussi sec que celui d’un journaliste ou d’un professeur. Consultant les étiquettes, il comprit : les idées vieillissent mal, et, s’aidant de la plus récente, il conclut qu’une idée ne dure pas plus de vingt-sept jours, tout comme le cycle lunaire, ce qui permet de prouver que la Lune est en lien avec les idées, que la Lune étant liée au marées, elles-mêmes liées à la pêche, elle-même liée au menu des restaurants servant de la soupe de poisson, eux-mêmes liés… Liés à quoi ? Il travaille sur la question, mais il vous tiendra informé et conclura comme il se doit. De toutes manières tout cela n’est pas un hasard.

charmeur d oiseaux 1910

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